Illustration : Ardit Hajrizi
Face aux crises internationales, les institutions académiques doivent-elles s’exprimer ou rester neutres ? À Neuchâtel, la question divise au sein de la population. Nando Luginbühl, chef de la communication de l’Université de Neuchâtel (UniNE) répond aux interrogations.
La communication des universités en cas de crises internationales peut se heurter à des attentes contradictoires. Le cas des occupations universitaires en soutien à la Palestine, qui ont touché plusieurs institutions académiques suisses en mai 2024, en est un exemple : les universités doivent-elles prendre position dans le débat public ?
Pour mieux cerner les implications de cette question délicate pour une institution d’intérêt public, j’ai confronté les préoccupations des Neuchâtelois et Neuchâteloises aux éclairages de Nando Luginbühl.
Muni de mon micro et d’une liste de questions, je me suis rendu au centre-ville de Neuchâtel pour interroger les passants et passantes sur ce sujet complexe. Certains et certaines ont décliné poliment, d’autres ont admis leur méconnaissance du sujet.
Néanmoins, une poignée de personnes a accepté de répondre à mes questions, abordant ce thème avec des niveaux de connaissance et de conviction variables. Voici ce qu’il en ressort.
Prise de position ou neutralité académique ?
Le cœur du débat réside dans le rôle et la mission de l’université. La notion de neutralité académique est avancée par une partie des sondés et sondées. Alex (30 ans) le formule ainsi : « les universités doivent rester neutres, leur but est d’enseigner, d’ouvrir le discours, de montrer à chacun qu’on peut avoir des opinions différentes, […] mais leur but n’est pas de prendre position en tant que tel ».
Nando Luginbühl confirme la position neutre de l’Université de Neuchâtel : « [l’université] n’est pas censée prendre de facto ou de manière proactive des positions politiques ».
Plus nuancé, Davide (45 ans) évoque la place de l’université au sein de la société : « l’université est dans la cité, elle doit vivre avec la cité, donc c’est normal qu’elle prenne position ». Sur ce point, le chef de la communication de l’UniNE reconnaît un rôle spécifique à l’université dans la « cité ».
Toutefois, ce rôle n’est pas de prendre position, mais plutôt de garantir un espace où des opinions divergentes peuvent s’exprimer : « il y a cette volonté d’offrir un accès à la pluralité des opinions et effectivement il y a cette posture de base qui est d’être neutre politiquement, surtout quand ce sont des sujets qui ne concernent pas l’université directement », explique-t-il.
Ne pas communiquer : une position en soi ?
Dans le cas contraire, le silence de l’université peut-il être interprété comme une position ? À cette question, Nando Luginbühl opte pour citer le psychologue Paul Watzlawick et sa célèbre phrase : « on ne peut pas ne pas communiquer ».
En d’autres termes, même lorsqu’on choisit de ne pas s’exprimer, ce silence est perçu comme une forme de communication qui peut être interprétée de différentes manières. C’est ce que remarque Jennifer (25 ans) : « j’ai l’impression que ça va dans les deux sens et qu’il faut choisir entre ne pas prendre position ou prendre position. […] dans les deux cas, c’est les mêmes risques ».
Nando Luginbühl rappelle toutefois que « si [l’université] n’est pas concernée au premier chef, il n’y a pas de raison de prendre position d’une manière ou d’une autre ». Il précise que si une décision de prise de position devait avoir lieu, celle-ci s’effectuerait au niveau de la faîtière des recteurs des universités, à savoir Swissuniversities.
Quid de la parole des associations étudiantes ?
Les comités étudiants doivent également être pris en compte. Même s’ils ne représentent pas officiellement l’université, leurs prises de position peuvent susciter des réactions externes, affectant ainsi leur image et, par ricochet, celle de l’institution.
Ces associations doivent donc réfléchir attentivement à leur stratégie de communication, notamment sur des sujets potentiellement clivants. Sur ce sujet, Grazia (63 ans) adopte une position prudente et considère la parole étudiante comme importante, bien qu’elle doive être revendiquée sans excès, « à bon escient ».
Gabriel (23 ans, prénom d’emprunt), étudiant à l’Université de Neuchâtel ayant pris part aux occupations de mai 2024, relate que le rôle des associations en cas de crises internationales est de servir de « tribune qui, comme dans tous mouvements sociaux, peut potentiellement encourager d’autres personnes à s’engager pour la cause ».
Du point de vue de l’UniNE, Nando Luginbühl signale que les associations étudiantes sont représentées dans les instances universitaires, et qu’elles ont une « certaine marge de manœuvre pour exprimer des prises de position ou communiquer elles-mêmes ». En outre, il leur est permis d’utiliser des canaux de communication institutionnels comme les écrans disposés dans les bâtiments, mais leurs messages ne peuvent pas avoir de portée politique.
Communication universitaire : un exercice d’équilibriste
Les professionnels et professionnelles de la communication institutionnelle naviguent ainsi dans un contexte complexe où chaque prise de position – ou non-prise de position – est scrutée, décryptée et débattue.
La multiplicité des acteurs et la nature interconnectée de la société du XXIème siècle obligent ces institutions à concevoir leur image en dehors de leur propre bureau.
Véritable partie d’équilibre, la communication des universités doit savoir jongler entre attentes internes, perception publique, responsabilité et éthique.
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