Créateurs de contenu : les nouveaux relais numériques de la communication publique ?

You are currently viewing Créateurs de contenu : les nouveaux relais numériques de la communication publique ?
Image de Alexandra_Koch de Pixabay

Dans un contexte géopolitique sous tension, les crises climatiques et politiques redéfinissent les attentes du public. Les créateurs de contenu sont de plus en plus sollicités pour diffuser des messages de fond et porter des valeurs. Entre stratégie de communication, responsabilité individuelle et engagement, leurs prises de position soulèvent des questions sur les codes de la communication d’intérêt général et le rôle qu’ils jouent dans l’espace numérique.

Un influenceur, au sens du marketing numérique, est une personne suivie sur les réseaux sociaux, capable d’orienter les comportements ou les opinions grâce à sa notoriété. Si son rôle s’est longtemps cantonné à la promotion de produits ou au partage de son quotidien, les campagnes à portée civique ou écologique, comme celles contre les violences sexistes ou pour le climat, redéfinissent peu à peu sa position dans l’espace public numérique. Les créateurs de contenu se transforment en vecteurs de messages sociétaux et s’imposent comme acteurs capables de mobiliser toute une communauté autour de valeurs et de causes communes. 

Dans ce nouveau contexte, certains influenceurs assument un rôle actif dans la diffusion de messages d’intérêt général, mêlant émotion, engagement personnel et contenu informatif. Ils deviennent ainsi des relais numériques entre institutions, ONG et un public souvent peu réceptif aux campagnes traditionnelles. Ces prises de parole, souvent perçues comme spontanées, s’inscrivent pourtant dans un système de communication aux règles et limites floues, où se croisent stratégie, narration, responsabilité et influence. 

Quand l’émotion et la science se rencontrent

Ce nouveau rôle de l’influenceur s’illustre précisément dans Conséquences, un projet suisse visant à réduire les émissions de CO₂ en encourageant des actions individuelles. Cette initiative, qui entame sa deuxième saison, réunit créateurs de contenu et scientifiques dans le but d’éduquer le public à l’impact concret des gestes quotidiens. Julien Donzé, alias Le Grand JD, y contribue avec une vidéo à mi-chemin entre documentaire et cri politique, centrée sur un problème local : la fonte du Glacier du Rhône. À travers une narration en voix off, des plans aériens et une musique dramatique, il adopte une esthétique documentaire proche de ses formats habituels. 

Mais cette fois, son visage s’efface : il laisse place à une spécialiste scientifique dont le discours s’ancre sur l’actualité environnementale pour faire passer le message. Ce choix témoigne d’une volonté de désindividualiser le message, pour le replacer dans un contexte plus collectif. En convoquant à la fois l’expertise et l’émotion, la vidéo devient un outil de sensibilisation qui dépasse les formats institutionnels classiques plus didactiques et souvent moins visibles. Ainsi, il évoque une responsabilité collective et individuelle tout en s’appuyant sur un dispositif institutionnel pour légitimer son propos. Ce positionnement nuancé semble aujourd’hui être une voie possible pour une communication d’intérêt général efficace sur les réseaux : engagée mais non partisane, incarnée sans être individualiste, émotive mais fondée sur des faits.

Quand l’influence devient engagement public

Dans sa vidéo sur le Glacier du Rhône, le Grand JD opère un véritable travail éditorial : choix du lieu, de l’experte, des sons et des images, tout concourt à créer une narration immersive, qui façonne la manière dont son public perçoit l’urgence climatique. Ce pouvoir de hiérarchisation et de cadrage, longtemps réservé aux médias traditionnels, se déplace aujourd’hui vers ces figures hybrides, à la croisée entre divertissement, témoignage et engagement.

Le Grand JD n’est pas un cas isolé. En Suisse, plusieurs institutions publiques et associations font appel à des influenceurs pour toucher un public plus large, souvent plus jeune et peu sensible aux canaux institutionnels. Des campagnes de sensibilisation comme celles menées pendant le COVID-19 peuvent bénéficier d’un meilleur taux de mémorisation lorsqu’elles sont relayées par ces créateurs, notamment grâce à leur capital confiance et leur proximité avec la communauté.

Les contenus des influenceurs sont perçus comme plus authentiques, impactants et inspirants que ceux des institutions publiques, en particulier par les jeunes adultes, ce qui renforce leur efficacité dans des campagnes de communication d’intérêt général. Le storytelling est alors co-construit entre l’influenceur et la structure publique, dans une logique de visibilité partagée. Entre liberté créative, influence émotionnelle et responsabilité éthique, un nouvel espace de la communication publique est en train de se dessiner où institutions et créateurs apprennent encore à se coordonner.

Une influence à valoriser, mais à encadrer

Cette influence croissante nécessite un cadre clair. En Suisse, contrairement à l’Union européenne, les collaborations à but non commercial, comme celles autour de causes environnementales ou sanitaires, échappent parfois aux régulations prévues par la loi contre la concurrence déloyale (LCD). Or, même lorsqu’il n’y a pas rémunération, le principe de transparence reste essentiel : les partenariats, les intentions, et les liens institutionnels doivent être explicités pour maintenir la confiance.

Face à ce glissement, les institutions doivent apprendre à co-construire avec ces nouveaux relais d’opinion, en posant des cadres éthiques, en assurant la transparence, mais aussi en leur laissant la liberté nécessaire pour toucher leur communauté, car c’est bien là que se joue la différence : dans l’authenticité du lien et la puissance du récit.

A lire aussi…