Dès les années 2000, l’humour noir est un levier fortement sollicité pour transmettre des messages forts dans l’espace public. Il est donc un précieux outil pour tout type de communication, dont la communication d’intérêt général (CIG). Mais, en 2025, son usage est-il encore accepté dans un contexte où les codes sociaux ont fortement évolué ?
En CIG, le lien entre une institution et son public repose sur un fondement précieux : la confiance. Celle-ci se construit lentement, en alliant transparence et respect. Certains mécanismes permettent de renforcer le lien de confiance, alors que d’autres le mettent en péril. C’est le cas de l’humour noir, dont l’usage se trouve à la limite de l’acceptable en société. Comme dit Annik Dubied, professeure à l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel, « il peut fonctionner en CIG mais il risque aussi d’être contre-productif.» En tournant en dérision des sujets sensibles, il est souvent incompris et risque de blesser son public et de briser la confiance établie.
L’évolution des codes de réception
L’humour noir est parfois incompris, encore plus en 2025 où le contexte de réception d’il y a 10 ans a radicalement changé. Les citoyens attendent désormais des institutions qu’elles assument une responsabilité sociale dans leurs prises de parole.
L’agence de communication Edelman propose une étude annuelle qui mesure le niveau de confiance du public envers les gouvernements, les entreprises, les ONG et les médias. En 2024, 68 % des personnes interrogées déclarent avoir « perdu confiance dans une institution à cause d’un message jugé déplacé ou offensant. »
Cette évolution s’explique par deux critères principaux. Premièrement, les réseaux sociaux augmentent la viralité d’un contenu. Une polémique va donc plus rapidement être relayée et critiquée. Deuxièmement, les changements sociaux ont accru la sensibilité du public face à leur propre représentation, ce qui met en péril la réception de certains messages délicats.
Exemple de la Police de Lausanne
En 2015, la Police de Lausanne et le Bureau de prévention des accidents (BPA) réalisent une vidéo afin de sensibiliser les 15-29 ans à l’inattention en tant que piéton. Nous rencontrons Jonas, un jeune homme dont l’histoire est narrée par Anastase. Alors que Jonas marche en consultant son téléphone, il disparait comme par magie, se faisant en réalité percuter par une voiture. La vidéo se conclut par une touche d’humour noir : Anastase travaille pour des pompes funèbres.
Anastase, le narrateur
Jonas, sur son téléphone et inattentif
Le message fait mouche : plus de 10 millions de vues et de vrais changements de comportements suite à l’action préventive globale. Pourtant, la vidéo en choque plus d’un, comme en témoigne l’avertissement de Darius Rochebin lors de sa diffusion sur la RTS : « Le film de prévention qu’on va voir est volontairement brutal. Attention aux images, qui peuvent choquer. »
Aujourd’hui, la même institution a abandonné ce type d’humour dans ses campagnes, préférant un ton sérieux. Y’a-t-il une raison face à ce changement radical ?
Et en 2025 ?
Des cas comme celui de la Police Lausannoise, où le succès dépasse de loin l’indignation, est moins commun en 2025. En 2017 déjà, la SUVA s’inspire de la vidéo d’Anatsase et réalise une vidéo préventive, où un cycliste se fait percuter par une voiture. Cette fois-ci, le public s’indigne : Pro Vélo dénonce une campagne « médiocre », qui rate sa cible. Ce rejet illustre bien la fragilité de l’humour noir en CIG.
En 2025, l’usage d’humour noir en CIG devient risqué. Il doit être justifié, ciblé, et manié avec subtilité. Mal réalisé, il risque plus fortement un tollé sur les réseaux sociaux. En effet, le public, plus sensible aux enjeux moraux, attend un message qui atténue la gravité des sujets abordés. Cela dit, des exemples récents prouvent que cet humour peut encore fonctionner. Les campagnes « Dumb Ways to Die » (métro de Melbourne) ou « Plastic Attack » (Greenpeace) ont su manier habilement humour noir et message fort, sans rompre le lien de confiance.
En conclusion, l’humour noir n’est donc pas à proscrire en 2025, mais son usage demande une grande prudence. Selon Annik Dubied, sa réception dépend de l’émetteur, du contexte et de la forme du message. Les attentes évoluent sans cesse, et chaque public réagit différemment. En 2025, mieux vaut privilégier une communication empathique et respectueuse pour préserver la confiance.
« Je pense pas qu’il y ait plus ou moins [d’humour noir en] 2025, je pense qu’il y a autrement. »