En février dernier, ProJunior Arc jurassien (Aj) a expliqué sur Instagram, au moyen de vidéos dynamiques, comment les réseaux sociaux retiennent l’attention et les conseils pour s’en détacher. Mais par ce choix de publications stimulantes, l’association ne participe-t-elle pas elle aussi à sur-solliciter son public ?
En 2025, la majorité des foyers suisses disposent d’un panel d’écrans. Selon le rapport Jeunes-Médias-Activité : Etude Suisse (JAMES) de 2024, 98% des ados entre 13 et 19 ans ont leur propre cellulaire.
Outre le risque d’épuiser les yeux après un important usage des écrans, ces gadgets peuvent fatiguer mentalement. En effet, les applications comme TikTok, Instagram et Snapchat, plateformes les plus utilisées par les jeunes suisses, fonctionnent sur le principe de reels en continu. Une structure qui incite l’enchaînement de contenus dynamiques pour captiver l’attention des personnes connectées.
Les informations défilent, proposant aux users de nouveaux contenus ciblés, parfois considérés comme absurdes, anxiogènes, chronophages ou faux. Un environnement numérique stimulant, exigeant un tri perpétuel et « des prouesses cognitives qui engendrent du stress » face à des contenus spontanés.
Quelques chiffres selon l’étude JAMES (p.47 ; p. 32) :
Parmi la masse informationnelle s’ajoute de plus en plus de prévention quant à l’usage « adéquat » des écrans pour éviter ce sentiment de trop-plein digital. Cela pose une question : est-ce cohérent de sensibiliser les ados aux écrans et aux réseaux sociaux via ces mêmes canaux de communication ? N’est-il pas paradoxal ?
Sensibiliser aux impacts des écrans…via les écrans : un exemple
ProJunior Aj a partagé, en collaboration avec Appel d’air, 3 reels Instagram sur « l’économie de l’attention ». Des vidéos courtes, au montage dynamique, selon les codes tendances de la plateforme. La première vidéo plonge les viewers dans le rôle d’un smartphone : une utilisatrice scrolle (visuels rapides), like (pop-up de cœurs), reçoit des notifications (jingles sonores), tout en ignorant son amie.
Face à cette vidéo qui illustre la forte sollicitation que peut ressentir une personne connectée lorsqu’elle navigue entre les différentes applications sociales de son portable, le spectateur ou la spectatrice peut se demander si la publication ne fait pas justement partie de ces contenus qui tentent de captiver le public. En effet, par son montage, la vidéo en elle-même reproduit les codes des contenus pensés pour capter l’attention des users : musique entraînante, images rapides, sollicitations visuelles.
Les deux autres vidéos présentent un professionnel et des conseils de jeunes neuchâtelois pour se déconnecter, en format micro-trottoir.
Deux contenus visuellement moins stimulants, mais relativement rapides. Les informations sont sélectionnées et synthétisées, notamment avec l’expert, forçant le public à se concentrer pour comprendre le contexte, ou repasser la vidéo.
La communication d’intérêt général (CIG) face à un paradoxe
ProJunior Aj a été contacté pour échanger sur cette idée de paradoxe observé dans les reels analysés.
L’association explique que l’utilisation des codes des réseaux sociaux pour les vidéos était une approche « au cœur même de [sa] stratégie de sensibilisation ». Une démarche pour refléter et faire ressentir aux internautes les effets de la fatigue numérique causée par l’hyper-sollicitation des écrans. Les publications ont généré plus de 95’000 vues, confirmant la visibilité de la campagne sur le public cible.
Le choix du canal : ses enjeux
Selon l’étude JAMES (2024 ; 75), « les applications axées sur l’image, comme Instagram, TikTok et Snapchat, soulignent l’importance des contenus visuels et interactifs ». Sachant que 91% des jeunes suisses utilisent activement ces interfaces, elles représentent des canaux de communication importants.
Traiter de la fatigue numérique lors d’une campagne de sensibilisation via les réseaux sociaux est un équilibre délicat, qui demande à bien délimiter la frontière entre deux approches : informer ou étonner.
Le compte Instagram de @ciao.ch, un espace d’aide pour les jeunes suisses, offre un bon exemple de contenus à visée exclusivement informative : sobres, éducatifs, peu stimulants. Un feed slow et clair, qui contraste avec la frénésie d’Instagram.
Autrement dit, dénoncer la surconsommation des écrans via des contenus stimulants semble s’écarter de la cohérence et de l’intérêt général des jeunes. Mais les toucher via les réseaux sociaux, c’est central dans une stratégie de communication, pour atteindre ce public majoritairement connecté en 2025.
Références
@ProJunior Arc jurassien : https://www.instagram.com/projunior_arcjurassien/?hl=fr
@ciao.ch : ww.instagram.com/ciao.ch/?hl=fr
Külling-Knecht, C., Waller, G., Willemse, I., Deda-Bröchin, S., Suter, L., Streule, P., Settegrana, N., Jochim, M., Bernath, J., Süss, D. 2024. “Étude Jeunes – Activité – Médias : Enquête Suisse (JAMES)”, Zurich University of Applied Sciences, disponible sur: https://www.zhaw.ch/storage/psychologie/upload/forschung/medienpsychologie/james/2018/JAMES_2024_FR.pdf
“Réseaux sociaux”, Jeunes et médias : https://www.jeunesetmedias.ch/medias/reseaux-sociaux
“La fatigue numérique affecte-t-elle votre famille?”, Pause ton écran : https://pausetonecran.com/la-fatigue-numerique-affecte-t-elle-votre-famille/
“Santé mentale et écrans”, Santé Psy : https://santepsy.ch/sante-mentale-et-ecrans/jeunes-ecrans/
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