A l’ère du numérique, les émetteur-rice-s d’information ne cessent de s’accroître mais les propos ne sont pas systématiquement vérifiés pour autant. En parallèle, le domaine du journalisme fait face à de nombreuses crises. Les professionnel-le-s des sciences de la communication et des médias doivent ainsi réaffirmer leur rôle d’instance de fiabilité.
Cela fait maintenant plus de 25 ans que les médias ont fait leur apparition dans le monde numérique. Toutefois, la diffusion des fake news ne fait que prendre de l’ampleur, affectant drastiquement la confiance de la population envers les médias. Et lorsque la distinction entre vérité et mensonge devient ardue, la méfiance s’installe : en 2023, en Suisse la confiance envers la presse médiatique a diminué, atteignant les 42% contre 50% en 2016. Les professionnel-le-s des sciences de la communication et des médias sont, eux-elles-aussi, inévitablement touché-e-s par ces fléaux d’internet. Leur mission de partager leurs connaissances publiquement se voit remise en cause.
Cette idée d’un dialogue social entre chercheur-euse-s et l’ensemble de la société n’est pas nouvelle. Elle est notamment mentionnée dans la charte européenne du/de la chercheur·se (2005), illustrant parfaitement l’importance de collaborations entre scientifiques d’universités et des médias telle que la conférence de la Société suisse des sciences de la communication et des médias (SSCM), tenue à l’Université de Neuchâtel. L’un des panels de l’événement portait sur cette évolution des pratiques journalistiques : “Compétent ? Persuasif ? Représentatif ? Étude de la perception des sources citées dans les reportages d’actualité”, présentée par Antonia Baumgartner.
Ainsi, à ce jour, qu’en est-il alors de la relation entre académicien-ne-s et professionnel-le-s de la communication ? Comment les chercheur-euse-s s’ajustent-ils-elles à ces changements dans ce domaine saturé et en constante mutation qu’est le journalisme ?
Le web et les réseaux sociaux ont souvent la réputation d’être une menace dans le domaine du journalisme : montée de la désinformation, recherche effrénée aux clics, compétition entre plateformes, diminution de la fidélité des lecteur-rice-s, arrivée grandissante de l’intelligence artificielle… Néanmoins, pour en tirer profit, il faut pouvoir considérer le numérique comme une opportunité plutôt qu’une contrainte. Les professionnel-le-s de la communication s’efforcent, au côté du savoir scientifique, de soutenir cette évolution en explorant les diverses opportunités offertes.
Certaines institutions sont tout particulièrement fortes pour donner l’illusion que leurs contenus sont basés sur des sources vérifiées. Découvrez un exemple concret ci-dessous :
Source : post collecté par HPSCI (2017) dans Aiello& Parry (2020)
Les marqueurs identitaires comme indicateurs d’informations fiables
Les choix éditoriaux sont cruciaux pour la construction et la diffusion d’informations fiables et durables dans un contexte incertain, tel est le cas pour le journalisme. Concrètement, la vulgarisation scientifique des chercheur-euse-s passe par une publication de leurs recherches. C’est une de leurs missions pour rendre publique à la société leurs résultats.
D’un point de vue des professionnel-le-s de la communication et des médias, l’accès à ces informations se fait au travers de citations sur les médias en ligne. Autrement dit, grâce au reportage – et à la vérification – des sources utilisées. Plusieurs paramètres entrent en compte dès lors qu’une source est citée, selon la perspective de l’audience : l’appartenance à une organisation, la légitimation des porte-paroles et la déclaration claire de propos en tant qu’opinion personnelle ou opinion au nom de l’organisation représentée. Antonia Baumgartner, assistante diplômée au Département des sciences de la communication et des médias à l’Université de Fribourg, explique au travers de sa dernière recherche, que dès lors que l’appartenance d’une organisation est visible, les informations sont davantage perçues comme dignes de confiance. Même si le-la professionnel-le semble donner son avis personnel, étant affilié-e, il-elle sera jugé-e comme authentique. Etre rattaché-e à une organisation revient à dire qu’une personne est compétente, persuasive et suffisamment représentative pour émettre un avis commun.
Visualiser ce lien entre professionnel-le et média passe notamment par des éléments tant verbaux que non verbaux : ce sont les marqueurs identitaires. C’est l’identité visuelle de l’institution (nom, logo, charte graphique, slogan, signature), mais également sa promesse et son positionnement face à la concurrence. En les rendant visibles, le média favorise la considération de ses sources comme étant véridiques plutôt qu’une vitrine d’opinions personnelles, biaisées. Le travail des professionnel-le-s se verra valorisé, et constituera un début de renouveau en termes de relation de confiance avec son audience. Et les médias semblent en effet s’améliorer : selon l’Institut Fög de l’Université de Zürich, le paysage médiatique suisse a connu un nouveau record en 2023 avec 66 médias ayant obtenu un “score qualité”.
(Re)construire une confiance au travers de projets collaboratifs
Outre les défis qu’a pu engendrer l’ère numérique, de nouvelles approches collaboratives de travail ont par la suite émergé – dont le journalisme ouvert. Tarlach McGonagle, chercheur à l’Institut du droit de l’information de l’Université d’Amsterdam, explique cette notion lors d’une réunion d’experts organisée par le Bureau du représentant de l’OSCE pour la liberté des médias (2014) :
“Le journalisme ouvert se caractérise par son caractère interactif, participatif et en réseau, qui permet d’avoir un large éventail de points de vue à différents niveaux du processus de production de l’information”.
Le contexte actuel de saturation de contenus et d’informations contraint les journalistes à acquérir de nouvelles compétences transversales à leur discipline. Des rencontres, visant à harmoniser les exigences des médias avec l’expertise scientifique, permettent de mettre en contact des profils variés mais complémentaires. Plus concrètement, c’est ce que font d’ores et déjà Initiative for Media Innovation, International Journalism Festival, et la SSCM. Tous ces événements soutiennent des chercheur-euse-s et professionnel-le-s de la communication et des médias qui mènent des projets dans le cadre de l’évolution numérique.
Quelques pistes de réflexion
Le domaine du journalisme s’inscrit, par conséquent, dans un contexte dynamique qui ne cesse d’évoluer à un rythme soutenu. Vérifier minutieusement les informations et rendre visible l’appartenance à une organisation amèneront à des avantages à long terme valorisants : une meilleure crédibilité, fiabilité et réputation de l’institution que le-la professionel-le représente. En parallèle, des projets collaboratifs entre savoirs et société semblent être une solution prometteuse pour échanger sur des perceptives différentes, et promouvoir le travail de chacun-e.
Pour aller plus loin
Antonia Baumgartner. Département Communication et Médias. Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://www.unifr.ch/dcm/fr/departement/collaborateurs/byalphabet/people/55565/95b47
Aiello, G. & Parry, K. (2020). Visual communication: Understandingimages in media culture. SAGE.
Batazzi, C. & Parizot, A. (2016). Identités de Marques et marqueurs d’identité. Vers une construction identitaire et sociale des individus par et dans la consommation ?. Question(s) de management, 14, 89-101. https://doi.org/10.3917/qdm.163.0089
Fake News et Marques : comment se protéger ? (2019). Consulté le 20 avril 2024, à l’adresse http://www.visibrain.com/fr/ressources/livre-blanc-fake-news/
FAQ. (s. d.). International Journalism Festival. Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://www.journalismfestival.com/faq/
First expert meeting on Open Journalism, 5 May 2014. (s. d.). OSCE. Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://www.osce.org/fom/116742
fög – Forschungszentrum Öffentlichkeit und Gesellschaft (Hg.) (2023). Jahrbuch Qualität der Medien 2023. Schwabe. https://doi.org/10.24894/978-3-7965-4894-9
JKweb, Webdesign Basel & Zürich. (s. d.). SSCM – Société suisse des sciences de la communication et des médias. Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://sgkm.ch/fr/
Luxembourg : Office for Official Publications of the European Communities. (2005). Charte européenne du chercheur Code de conduite pour le recrutement des chercheurs. Dans Espace Européen de la Recherche (No 92-894-9312‑7). Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://euraxess.ec.europa.eu/sites/default/files/brochures/eur_21620_en-fr.pdf
Newman, N. (2023). Reuters Institute Digital News Report 2023. Dans Reuters Institute For The Study Of Journalism. https://doi.org/10.60625/risj-p6es-hb13
SACM / SGKM CONFERENCE PROGRAM. (2024, 11 mars). Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://moodle.unine.ch/pluginfile.php/569683/mod_resource/content/2/SACM-SGKM-UNINE-Conference-Program-2024%20%E2%80%93%20V11032024.pdf
Sàrl, E. (2024, 12 avril). accueil. Initiative For Media Innovation. Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://www.media-initiative.ch/
Serrell, M., Lemarchand, L., & Philippe, M. (2024, 31 janvier). IA, réseaux sociaux, défiance. . . Le journalisme est-il mort ? France Inter. Consulté le 19 avril 2024, à l’adresse https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-monde-nouveau/le-tribunal-des-generations-futures-du-mercredi-31-janvier-2024-4655499
Suisse, R. T. (2021, 25 mai). Internet, histoire d’une révolution. rts.ch. Consulté le 20 avril 2024, à l’adresse https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/culture-et-sport/semaine-des-medias/12223955-internet-histoire-dune-revolution.html
Cette 24ème conférence annuelle de la SSCM/SGKM est couverte médiatiquement par les étudiant-e-s en Master de Création de contenus et communication d’intérêt général (MA3CIG) de l’AJM. Cet article a été réalisé dans le cadre du cours “Création de contenus web et réseaux sociaux” et fait partie d’une série éditoriale répartie en trois rubriques présentes sur la page du site Pointcomm dédiée à l’évènement.