Mon identité définit-elle les contenus que me propose l’algorithme TikTok ? À quelle allure vais-je me retrouver bloqué dans une bulle filtrante ? Dans cette expérimentation, nous répondrons à toutes ces questions à l’aide de trois profils très différents.
Vous êtes-vous déjà surpris ou surprises à faire défiler inlassablement la rubrique “Pour toi” de TikTok ? C’est ce qui m’est arrivé, et j’ai réalisé que l’algorithme me suggérait toujours les mêmes thématiques. Pour comprendre cet enfermement algorithmique, ce qu’on appelle une bulle de filtre, j’ai mené une expérience : créer ad hoc des comptes TikTok, basés sur des stéréotypes, en faisant défiler la page TikTok “Pour toi” de manière régulière. L’objectif est d’étudier à quelle vitesse l’algorithme va m’enfermer dans des bulles de filtre et si ces dernières dépendent de mon genre ou de mes idées politiques.
Je vous présente ainsi Manon, Lucas et M. Contrôle, mes trois cobayes pour cette expérience. Tous disposent d’une identité propre et volontairement (pour les besoins de l’expérimentation) stéréotypée. Manon est une jeune étudiante de 23 ans à tendances progressistes, tandis que Lucas est un jeune patriote valaisan. M. Contrôle est quant à lui un compte neutre qui fait office de repère dans l’expérience.
Que se passe-t-il lors des premières minutes de l’expérience ?
Sans surprise, mes premiers visionnages sont des tendances populaires du moment. Dans la majorité des cas, l’algorithme propose des contenus redondants entre chaque compte. Je constate cependant certaines nuances. Parmi mes suggestions, certaines correspondent à des stéréotypes genrés. J’émets donc ma première conclusion : tout en suggérant un tronc commun de tendances populaires, l’algorithme semble s’inscrire dans une logique stéréotypée surtout lors de la prise en main. Vous verrez par la suite que ces contenus marginaux ont toute leur importance.
Ci-dessous se trouvent les barres de recherche de Lucas et Manon. Elles s’adaptent en fonction des tendances de la plateforme. Mais vont-elles adapter ces tendances au profil de Manon et de Lucas ?
Les types de contenus après 15 minutes de visionnage.
Après 15 minutes, l’algorithme uniformise la majorité des contenus entre chaque compte. À quelques différences près, il semble que répartir équitablement le temps d’attention entre les comptes équivaut à n’en avoir qu’un seul.
Malgré tout, mes premières bulles émergent. Entre voyages et recettes de cuisine, le fil de Lucas se mêle peu à peu à des extraits virils du personnage fictif Thomas Shelby. M. Contrôle ne s’aventure pas dans cette direction. Ses contenus, moins niches, sont centrés autour des voyages, de la cuisine et du chant. Pour Manon, son fil est parsemé de contenus sur le bien-être et surtout, sur l’astrologie. Mais alors, à ce stade de l’expérimentation, pouvons-nous affirmer que l’algorithme adapte ses suggestions en fonction du genre de mes comptes ?
En réalité, l’explication derrière ces résultats est plus simple. Cela s’explique par la simple et bonne raison que mes captures d’écran, saisies lors des moments les plus marquants, interfèrent sur mon temps d’attention. Cependant, des suggestions genrées dès la prise en main augmentent le risque de pénétrer une bulle filtrante stéréotypée par la suite. L’utilisateur ou l’utilisatrice est alors contraint ou contrainte de sélectionner manuellement, en ignorant ou non, les contenus qu’il ou elle juge inclusifs. Ce qui nous amène à cette question : à quelle vitesse rentrons-nous dans des bulles filtrantes ?
Ici, les principales catégories de contenus répertoriées après 15 minutes de visionnage.
Après une semaine sur la plateforme, mes comptes sont-ils bloqués dans des bulles de filtre ?
Dans l’ensemble, deux jours suffisent pour former les premières bulles. À la fin de la semaine, mes comptes en avaient même développé des nouvelles. L’algorithme suggère fréquemment des contenus d’astrologie et de littérature à Manon et à M. Contrôle. Lucas a quant à lui développé une nouvelle passion pour les voitures de luxe et les aventuriers. Comparé au début de l’expérimentation, les tendances populaires représentent seulement la moitié des contenus suggérés par l’algorithme. Les comptes se sont tous spécialisés selon des thèmes. Ces thèmes représentent l’autre grande partie des suggestions. Enfin, l’algorithme semble régulièrement proposer de nouvelles catégories afin d’alimenter la rubrique “Pour toi” de mes comptes.
Ces nouvelles catégories maintiennent l’attention de l’utilisateur ou de l’utilisatrice. Ce qui m’amène à cette conclusion : pour stimuler l’attention des utilisateurs et des utilisatrices, l’algorithme opère en trois temps. Dans un premier temps, il propose des contenus populaires ou stéréotypés pour effectuer son analyse. Ensuite, selon ses résultats, l’algorithme va former les premières bulles filtrantes afin de stimuler l’utilisateur ou l’utilisatrice. Enfin, et tout en préservant les précédentes bulles filtrantes, l’algorithme va proposer de nouvelles thématiques afin de maintenir l’utilisateur ou l’utilisatrice sur la plateforme.
Aussi, même en ne visionnant les contenus que quelques secondes, mes comptes se sont tous engagés dans des bulles filtrantes. J’en déduis donc que plus notre temps de visionnage moyen est court, plus nous avons de propension à nous infiltrer dans des bulles filtrantes. A contrario, il est difficile de s’extraire d’une bulle déjà formée, car l’algorithme associe ce type de contenus à notre profil. Pour éviter cette fatigue due aux bulles filtrantes, il faut donc soit nourrir l’algorithme en diversifiant ses recherches et ses interactions, soit ne plus le nourrir.
Envie d’en apprendre plus sur les bulles de filtre ? Allez lire l’article de Joanie !