Fin du Salon africain de Genève : une mobilisation pour défendre la diversité culturelle

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Le Salon africain du livre de Genève a vécu sa dernière édition en 2024. © Pierre Albouy

Le Salon africain, rendez-vous incontournable du Salon international du livre de Genève entre 2004 et 2024, a pris fin. En cause : la suppression de son principal financement institutionnel. Une décision qui suscite une action collective au nom de l’intérêt général et relance le débat sur la place accordée à la diversité culturelle en Suisse.

Une scène qui s’éteint 

Lancé en 2004 par l’éditeur suisse Pierre-Marcel Favre, le Salon africain, l’une des sept scènes du Salon international du livre de Genève, a connu sa dernière édition en 2024. Cet espace consacré aux littératures africaines, en grande partie soutenu depuis ses débuts par la Direction du développement et de la coopération (DDC), aura marqué deux décennies d’existence.

L’annonce officielle de sa disparition tombe en juin 2024, par le biais d’un communiqué de presse du Salon du livre de Genève indiquant : « En raison de la perte d’un important soutien financier dédié au Salon africain, le Salon du livre de Genève est contraint de mettre un terme au Salon africain tel qu’il était proposé. »

Une aventure qui, selon la journaliste Catherine Morand dans une chronique publiée dans Le Courrier, a permis à Genève de s’imposer comme un véritable carrefour de la littérature africaine en Europe.

La toile en émoi

Peu après l’annonce de sa disparition, Gladys Marivat, programmatrice de l’édition 2024, exprime son « immense tristesse » dans une publication sur Facebook. Entre stupeur et désarroi, les réactions affluent et témoignent de l’attachement du public à cet événement. De nombreuses figures du monde littéraire, journalistique et éditorial, parmi lesquelles Marjorie Bertin, Marie Nimier, Mabrouck Rachedi, Samuel Kuhn, Geneviève Bridel ou encore Nelly Mladenov, réagissent. L’émotion se propage rapidement au-delà des frontières helvétiques.

La presse spécialisée, notamment Actualitté, Afropoésie et Slash Culture, relaie rapidement la nouvelle, insistant sur l’importance du Salon africain pour la visibilité des littératures africaines francophones, l’incompréhension suscitée et l’élan collectif en faveur de sa sauvegarde. Actualitté y consacre deux articles début juillet 2024, qui cumulent plus de 500 partages sur les réseaux sociaux. Dans le premier, Genève : Le Salon africain du livre prend fin, le journaliste Ugo Loumé revient sur la décision de la DDC et le communiqué de presse du Salon du livre de Genève. Dans le second, Une mission de sauvetage lancée pour le Salon africain, il met en lumière l’émergence immédiate d’un mouvement citoyen visant à sauver l’événement. C’est ainsi qu’a vu le jour l’Action pour le Salon africain de Genève (APSA).

La mobilisation s’organise

Les réseaux sociaux ont joué un rôle clé en tant que catalyseurs, tandis que WhatsApp a permis une coordination rapide et directe de l’action citoyenne. Le groupe public créé spécifiquement pour l’occasion, ouvert à toute personne souhaitant s’engager, a rapidement réuni plus de 150 membres, comme l’explique l’écrivain Timba Bema lors d’un entretien téléphonique du 11 avril 2025.

Parmi les premières actions entreprises, Timba Bema et Kanyana Mutombo, docteur en relations internationales, ont adressé un courrier à la DDC afin d’obtenir des explications sur les motifs de cette décision. La réponse de l’organe gouvernemental, évoquant les « nombreuses crises et défis » ainsi qu’une situation financière fédérale « tendue », est jugée peu satisfaisante par les membres de l’APSA.

L’APSA explore actuellement plusieurs pistes pour mener à bien son action : financement participatif (crowdfunding), recherche de mécènes, sollicitation d’autorités cantonales et communales ou encore intégration du Salon dans d’autres événements comme Les Automnales.

« Ce que nous pouvons et devons faire désormais, c’est nous réapproprier le Salon africain »
Dre Mambi Meido
Ecrivaine et présidente du Collectif Africain-Suisse

Cette dernière résume bien l’esprit de la mobilisation : ne pas se résigner, mais repenser autrement, peut-être ailleurs, cet espace de visibilité dédié aux autrices et auteurs ainsi qu’aux éditrices et éditeurs du continent.

Un engagement culturel historique aujourd’hui fragilisé

La préservation de la diversité culturelle est une composante importante de la politique intérieure et extérieure de la Suisse, comme le souligne le portail du Gouvernement suisse. Un principe inscrit dans la Constitution, et renforcé par la ratification de la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles en 2008.

La DDC joue un rôle central dans cette politique, soutenant des projets culturels à l’étranger et établissant des partenariats avec plusieurs institutions culturelles en Suisse. Cependant, face aux multiples crises – géopolitiques, climatiques, énergétiques et sanitaires –, le Parlement suisse a décidé de réduire les budgets alloués à la coopération internationale pour la période 2025-2028, d’après le communiqué de presse du 29 janvier 2025.

Un réseau de partenaires en péril

Dans ses directives thématiques sur la Culture et le Développement, la DDC confirme le maintien de son soutien culturel dans les pays partenaires, mais prévoit une réduction de son portefeuille de partenaires nationaux, qui passera de 12 à 5 d’ici à 2028.

« Dans le cadre de ses partenariats, la DDC veille toujours à ce que les contributions ne dépassent pas 50 % du budget total des organisations partenaires, afin d’éviter toute dépendance totale à l’égard de ses contributions », précise Billy Neville, chargé de communication de la DDC, dans un échange de mails.

Le cas du Salon africain illustre bien comment un groupe citoyen peut se mobiliser pour sensibiliser l’opinion publique sur des questions d’intérêt général. Toutefois, l’événement culturel genevois n’est pas le seul à être touché par les réductions et réaffectations budgétaires décidées par le Parlement suisse. Un communiqué de presse conjoint, sous embargo jusqu’au 6 février 2025, indique que toutes les institutions culturelles suisses subventionnées par la DDC sont désormais menacées.

Pour en savoir plus sur les partenariats culturels de la DDC, lisez l’article suivant :