En pleine montée des discours conservateurs, plusieurs entreprises américaines reviennent sur leurs engagements envers la communauté LGBTQ+, alors que le « pinkwashing » continue d’être pratiqué. Quelles sont les répercussions sur la confiance du public concerné ? Le comité de l’association QueerBienne réagit
Google, Amazon, McDonald’s… Nombreuses sont les entreprises américaines à avoir mis fin à leurs programmes DEI – diversité, équité, inclusion – suite à l’entrée au pouvoir du président Donald Trump et à l’instauration de sa politique dite « anti-woke ». De nombreux employés LGBTQ+ ont ainsi été licenciés, les subventions accordées aux associations engagées dans la défense de leurs droits ont été coupées et finalement, c’est une politique d’embauche axée sur le mérite qui a été mise en place, au détriment de la prise en compte des minorités.
Ce revirement soudain impacte en priorité le secteur de la communication, qui représente le principal vecteur de lien entre les entreprises et leur audience. Il faut ainsi s’attendre à une perte de confiance non seulement de la part du public directement concerné, mais aussi de l’opinion publique dans son ensemble.
« Ce qui me frappe le plus, c’est que peu d’institutions, publiques ou privées, sont prêtes à reconnaître qu’un mouvement réel et organisé s’en prend directement aux droits des minorités et essaie tout simplement d’effacer leurs existences ». Nina, membre de l’association QueerBienne.
Il est également important de souligner la division que crée les politiques DEI au sein de la communauté queer. Pour Nina, leur utilité était d’ores et déjà insuffisante : « Cette suppression poussera peut-être les personnes LGBTQ+ à développer d’autres réseaux de soutien plus efficaces », affirme-t-iel.
Le pinkwashing, entre marketing et imposture
Le climat actuel met en lumière les réels engagements des entreprises, et révèle ainsi d’éventuelles pratiques de pinkwashing. Selon le rapport 2023 de SOS Homophobie, ce terme désigne le fait de s’ériger en allié des personnes LGBTQ+ tout en soutenant en parallèle des détracteurs de ces droits ou en ne défendant pas ces sujets. Cette problématique ressurgit particulièrement au mois de juin, durant les célébrations des Fiertés, période durant laquelle de nombreuses marques adoptent un univers visuel aux couleurs de l’arc-en-ciel et commercialisent des produits estampillés LGBTQ+.
« Je trouve ça triste que les entreprises fassent penser qu’on peut faire une bonne action en achetant des objets rebrandés “queer” alors qu’on ferait mieux d’aider directement les communautés concernées au niveau local, voire au niveau personnel, familial, par exemple ». Nina, membre de QueerBienne.
Juin est en effet depuis longtemps une valeur sûre pour les entreprises en matière de marketing, ce qui suscite des critiques tant au sein de la communauté queer que chez les conservateurs. « L’effet concret sur la communauté queer peut aussi être délétère, parce que les gens peuvent se demander pourquoi on cible toujours explicitement les personnes queer et voir ça comme un privilège, là où la plupart des personnes queer ne demandent pas des privilèges mais juste d’être respectées » détaille Nina de QueerBienne.
De nombreux cas de pinkwashing ont été pointés du doigt, allant de la marque de prêt-à-porter Calvin Klein à la SNCF, en passant plus récemment par la chaîne de distribution alimentaire britannique Marks & Spencer.
Suite à la mise en vente de ce sandwich, de nombreuses réactions ont fusé sur les réseaux sociaux, non seulement au Royaume-Uni mais aussi à l’international. Ces pratiques restent à l’heure actuelle très courantes et continuent d’être dénoncées par la communauté LGBTQ+. « Cela me dérange beaucoup que nos luttes et nos revendications soient utilisées par des marques et des entreprises pour s’acheter une bonne conscience. Il faut toujours se demander en quoi les personnes queer vont concrètement profiter de ces actions », souligne Nina de QueerBienne.
Et en Suisse, quelles conséquences ?
L’évolution de la situation outre-Atlantique suscite des remises en question dans les milieux militants helvétiques.
« Les entreprises suisses n’étaient pas vraiment connues pour leur fort engagement auprès de la communauté queer. Les institutions qui nous aident concrètement sont peu nombreuses et leurs moyens étaient déjà limités ». Nina, membre de QueerBienne
Dans les médias helvétiques, les spécialistes tempèrent eux aussi ; Églantine Jammet, confondatrice du cabinet de recrutement Artemia Executive, explique dans un article du Temps que l’arrivée des politiques d’inclusion en Suisse est assez récente et que les mesures sont « encore assez timides ». Pour elle, le risque de suivre le mouvement américain et de revenir sur le peu de mesures mises en place est alors limité.
Léon Salin, influenceur et expert des questions sur la transidentité, rassure lui aussi sur l’impact que ces suppressions auront sur la communauté : « Si l’objectif reste réellement la défense du bien-être de toutes les minorités, alors un changement politique ne devrait pas avoir d’incidence majeure », a-t-il confié dans le même article.
Des outils pour une communication plus juste
Il est alors justifié de se demander quelles sont les bonnes pratiques à mettre en place pour une communication inclusive, mais pas instrumentalisée. « Pour réellement être allié, il faut avoir un véritable impact sur la scène queer locale, notamment en dialoguant activement avec les communautés présentes et en répondant à leurs besoins concrets », détaille Nina de QueerBienne.
« À mon avis, les entreprises ou les marques ne devraient pas cibler des groupes sociaux spécifiques dans leurs campagnes ou leur communication. Il ne faut aussi pas oublier que toute une partie de la communauté queer se bat activement contre le capitalisme, qu’elle voit comme une partie intégrante du patriarcat et qui se renforcent mutuellement » Nina, membre de QueerBienne
Une communication vraiment inclusive ne peut donc exister qu’en rupture avec les logiques opportunistes, et en cohérence avec les valeurs que l’on prétend défendre.