La vie vous semble-t-elle plutôt vague et irréelle ?… Voici la 191e question du test de personnalité administré par l’Église de Scientologie. Largement controversé, ce test interroge sur les limites de la communication d’intérêt général, entre normes éthiques et prosélytisme
L’Oxford Capacity Analysis (OCA) est un test de personnalité[1] gratuit créé par l’Église de Scientologie[2]. Il est présenté comme un outil capable de définir la perception qu’un individu a de lui-même, et les moyens de s’améliorer (Scientology, s.d). Le test est proposé gratuitement, dans la rue ou en ligne, et est suivi par un entretien gratuit et facultatif au cours duquel les résultats sont interprétés. Il génère un graphique (figure 1) qui représente l’état du caractère de l’individu : l’objectif est d’identifier les traits “inacceptables” afin de les éliminer et d’adopter un comportement optimal ; un objectif qui pourrait relever d’une communication d’intérêt général. Contrairement aux autres organisations de communication d’intérêt général toutefois, qui sont généralement des entités non lucratives et laïques, l’OCA est administré par une organisation religieuse : l’Église de Scientologie.

La communication d’intérêt général doit-elle être laïque ?
La communication d’intérêt général (CIG) est une discipline encore mal définie, sans champ d’application délimité, qui se confronte à une pluralité de valeurs et de théories morales (Gianni, 2024). En l’absence de définition exhaustive de ce qu’est l’intérêt général (Ollivier-Yaniv, 2014 : 114), chaque acteur identifie des enjeux divers qui bénéficient, selon lui, au bien commun (Pierlot, 2018 : 484). De ce fait, une instance religieuse -comme l’Église de Scientologie- peut communiquer sur ce qu’elle considère d’intérêt général, même si cela provoque des controverses.
Cependant, quelles que soient les intentions de l’organisation derrière le dispositif, il peut être attendu de sa part qu’elle respecte une certaine éthique dans son processus de communication. En effet, l’absence d’une charte déontologique propre à la communication d’intérêt général ne signifie pas une absence totale de repères éthiques pour les communicants. À défaut d’un cadre normatif dédié, il convient de s’appuyer sur les principes déontologiques des disciplines voisines, comme les relations publiques (Code d’Athènes, 1965) ou la communication publique (Cap’Com, 2002) ; il est attendu de ces professionnels qu’ils veillent à une communication transparente (Code d’Athènes, 1965 : art.10) et qu’ils ne compromettent pas leur intégrité éthique (Cap’Com, 2002 : art.8).
À cet égard, Breton (2006: 31) souligne que l’argumentation, en tant que processus de communication, doit s’inscrire dans une éthique du discours qui garantit la libre adhérence du public au message. En respectant ces principes, un communicant devrait transmettre son message sans recourir à une forme de manipulation susceptible d’influencer l’adhésion du public. Seulement, il peut être difficile de distinguer une “communication légitime des convictions [d’une] tentative abusive d’influence” (Fortier, 2008 : 4).
Nous nous proposons ici d’explorer le fonctionnement de l’Oxford Capacity Analysis test, afin d’observer dans quelle mesure il relève de la communication d’intérêt général.
Dans cette analyse, nous ferons abstraction de la controverse entourant le statut de secte souvent attribué à l’Église de Scientologie (Wallis, 1977; ENDEVR, 2024), ainsi que des critiques concernant ses revenus financiers -l’OCA étant proposé gratuitement. Notre intérêt se portera sur le test lui-même ainsi que sur l’entretien qui en découle, et leur adéquation à la définition de la communication d’intérêt général.
L’OCA relève-t-il de la communication d’intérêt général ?
L’Oxford Capacity Analysis test pose question en termes de fiabilité scientifique (Foster, 1971) : il n’y a aucune information sur les critères d’analyse, la pondération des items, ou la catégorisation des variables. Toutefois, il est précisé d’emblée que ce test n’est pas “psychologique”[3] (Scientology, s.d). Cette transparence invite à considérer l’OCA comme un test indicatif, qui sert l’intérêt général en sensibilisant au bien-être mental: WWF Suisse (s. d.) propose à titre de comparaison un calculateur d’empreinte écologique qui, bien qu’approximatif, sensibilise au changement climatique. De ce fait, l’absence de rigueur scientifique de ce test ne suffit pas à l’écarter d’un dispositif de CIG adéquat. D’autres aspects de sa conception, en revanche, soulèvent des questions quant à sa conformité à une éthique de la CIG.
En se référant aux chartes déontologiques des domaines proches de la CIG, on note la récurrence d’un principe de sincérité. Il est dit que la communication publique “doit s’exercer hors de toute […] falsification des faits et respecter la nécessaire transparence des informations dont elle dispose” (Cap’Com, 2002: art.2) et que les consultants en relations publiques doivent agir avec intégrité, sans induire consciemment un client en erreur sur ses intérêts personnels (Code de Stockholm, 2003). Ainsi, les critères de transparence (Code d’Athènes, 1965 : art.10 ; Cap’Com, 2002: art.2), de libre adhérence du public (Breton, 2006: 31), et de sincérité (Code de Stockholm, 2003) peuvent être considérés comme des éléments importants à évaluer dans l’OCA pour déterminer si ses responsables s’inscrivent dans une démarche de communication d’intérêt général.
Un dispositif coercitif
En vertu du principe de libre adhérence du public (Breton, 2006: 31), il est important de noter que plusieurs éléments constitutifs du test incitent les participants à accepter de se rendre à l’entretien. Par exemple, les résultats sur le caractère du participant sont présentés sans les variables correspondantes; il n’y a aucune information sur la signification du graphique, afin que le participant ne puisse pas l’interpréter seul (Apostate, 2023). Il est également obligatoire de donner son numéro de téléphone.
De même que la constitution du test est coercitive, l’Église de Scientologie renforce sa crédibilité, et valorise son image, en travaillant un argumentaire basé sur la science (Breton, 2006: 25), plutôt que la foi. Elle s’associe en effet à une institution crédible, l’université d’Oxford[4], et explique que les résultats sont “une analyse scientifique factuelle extraite de vos réponses -c’est l’opinion que vous avez de vous-même”[5]. Ainsi, il semble que l’OCA oriente le participant vers l’entretien en dissimulant certaines informations.

L’ex-scientologue Jefferson Hawkins explique que le recrutement d’adeptes repose sur l’identification d’un trait de caractère perçu comme “ruinant” l’individu, et l’implantation de l’idée que la “Scientology can handle that” (Ortega, 2015). La sociologue Deana Hall (1998 : 396) précise que ces traits sont identifiés à partir des résultats à l’OCA. L’argumentaire repose sur une logique unilatérale : l’individu va mal et ne pourra s’en sortir qu’avec l’aide de l’Église. Ceci ne répond pas aux exigences déontologiques et éthiques, importantes à évaluer d’après les disciplines connexes de la CIG, en ceci que l’évaluateur conduit une “évaluation morale” (Gauthier, 1990 : 135) de l’individu basée sur un examen infondé scientifiquement de son état. Nous pouvons associer ce comportement à une forme de “prosélytisme abusif” (Fortier, 2008 : 3), car une pression est exercée sur un individu en situation de faiblesse.
L’évaluateur culpabilise en effet le participant ; il appuie sur ses traits négatifs et insiste sur le mal que cela cause à son entourage (Seven Network, 2011). En soi, l’utilisation de la culpabilité dans un message de CIG peut être un outil de sensibilisation efficace (Chédotal et al., 2017). Cependant, il peut être attendu des communicants qu’ils n’exagèrent pas “l’ampleur des problèmes ou le degré d’expertise des autorités sur lesquelles ils s’appuient” [6] (Guttman & Salmon, 2004 : 541). En accentuant la responsabilité de l’individu pour son mal-être (Bainbridge & Stark, 1980 : 132), et par un argumentaire unilatéral (Guttman & Salmon, 2004 : 541), nous pouvons en conclure que l’évaluateur ne fait pas une utilisation éthique de la culpabilité, d’un point de vue CIG.
En conclusion, cette analyse a mis en lumière comment divers aspects de l’Oxford Capacity Analysis sont contraignants, manquent de sincérité et de transparence sur la crédibilité scientifique des résultats, et utilisent la culpabilité à des fins coercitives. A ce propos, le psychologue Gudmund Smith (1981) considérait que la constitution du test allait à l’encontre de l’éthique attendue par la communauté scientifique en psychologie.
Au regard des différents constats qui précèdent, et si l’on s’en tient aux codes déontologiques des disciplines voisines, il semble que l’OCA ne respecte pas l’éthique d’un dispositif de CIG adéquat. Cet exemple soulève des enjeux sur la place de la religion dans la communication d’intérêt général. Il convient donc de souligner l’importance de démarches rigoureuses pour encadrer les pratiques de communication d’intérêt général, et garantir qu’elles ne se substituent pas à des dispositifs contraires à l’éthique du domaine.
[1] Le test comporte 200 items. Les questions sont par exemple : (3) Feuilletez-vous des indicateurs de chemin de fer, des annuaires ou des dictionnaires rien que pour le plaisir ? (11) Est-ce que votre voix est monotone plutôt que variée ? (88) Si nous envahissions un autre pays, ressentiriez-vous de la sympathie pour les objecteurs de conscience de ce pays? (98) Useriez-vous de châtiment corporel sur un enfant de dix ans s’il refusait de vous obéir ?
[2] Le test existe depuis les années 1960, et a récemment rencontré un regain de popularité sur TikTok (Sinclair, 2021).
[3] « this test is not a psychological test. »
[4] L’université d’Oxford n’est pas liée à l’Église de Scientologie.
[5] Ceci s’affiche une fois le test fini
[6] Traduit par DeepL
Références
L’intelligence artificielle ChatGPT (OpenAI, 2024) a été utilisée pour reformuler certaines phrases ou idées, afin d’améliorer la clarté et la fluidité du texte.
Apostate, A. (2023, avril 22). Inside Scientology’s Disturbing Personality Tests (K. Copter) [Youtube]. https://www.youtube.com/watch?v=ZbZLr6cI__A
Bainbridge, W. S., & Stark, R. (1980). Scientology : To Be Perfectly Clear. Sociological Analysis, 41(2), 128‑136. https://doi.org/10.2307/3709904
Breton, P. (2006). Le champ de l’argumentation. In L’argumentation dans la communication [1996] (4e éd.). La Découverte.
Cap’Com. (2002). Charte déontologique de la communication publique. https://www.cap-com.org/sites/default/files/field_file/charte-ethique-du-communicant-public-charte-de-marseille.pdf
Chédotal, C., Berthe, B., de Peyrelongue, B., & Le Gall-Ely, M. (2017). L’utilisation de la culpabilité en communication. Recherche et applications en marketing, 32(4), 97‑116. https://doi.org/10.1177/0767370116688650
Code d’Athènes. (1965). Code d’Éthique International de praticiens de relations publiques. https://prsuisse.ch/uploads/media/prsuisse/1986/Code-of_Athenes_fr.pdf
Code de Stockholm. (2003). Code de l’ICCO. https://prsuisse.ch/uploads/media/prsuisse/1985/ICCO_Stockholm_fr.pdf
ENDEVR (Réalisateur). (2024, novembre 27). The Dark Side of the Scientology Cult [Documentary]. https://www.youtube.com/watch?v=wpCU-Y5i39U
Fortier, V. (2008). Le prosélytisme au regard du droit : Une liberté sous contrôle. Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, 3, Article 3. https://doi.org/10.4000/cerri.144
Foster, J. (1971). Enquiry into the Practice and Effects of Scientology. Her Majesty’s Stationery Office. Consulté le 29 décembre 2024, sur http://www.xenu.net/archive/audit/foster05.html#recruitment
Gauthier, G. (1990). L’éthique de la communication publique : Une approche analytique. Communication. Information Médias Théories, 11(2), 120‑152. https://doi.org/10.3406/comin.1990.1487
Gianni, M. (2024, décembre 19). Espace public, communication et normativité [Intervention dans le cours « Théories et mission de la communication d’intérêt général »]. Théories de l’espace public, Université de Neuchâtel.
Guttman, N., & Salmon, C. T. (2004). Guilt, Fear, Stigma and Knowledge Gaps : Ethical Issues in Public Health Communication Interventions. Bioethics, 18(6), 531‑552. https://doi.org/10.1111/j.1467-8519.2004.00415.x
Hall, D. (1998). Managing to Recruit : Religious Conversion in the Workplace. Sociology of Religion, 59(4), 393‑410.https://doi.org/10.2307/3712124
Ortega, T. (2015, octobre 23). The technology of ‘ruining’ people : Jefferson Hawkins on Scientology’s opening pitch. The Underground Bunker. https://tonyortega.org/2015/10/23/the-technology-of-ruining-people-jefferson-hawkins-on-scientologys-opening-pitch/
Pierlot, J.-M. (2018). Chapitre 22. La communication des associations. In Communication (p. 475‑489). Vuibert. https://doi.org/10.3917/vuib.libae.2018.01.0475
Scientology. (s. d.). Oxford Capacity Analysis Personality Test. Scientology. Consulté 26 décembre 2024, à l’adresse https://www.oca.fr.scientology.ca/
Seven Network. (2011). Scientology : Brainwash Campaign [Émission]. In Today Tonight. https://www.youtube.com/watch?v=N4GpdXfznJ4&t=81s
Sinclair, H. (2021, septembre 29). Scientology’s introductory test goes viral on TikTok after user videos herself taking it. INDEPENDENT. https://www.independent.co.uk/news/world/americas/scientology-test-tiktok-b1929344.html
Smith, G. (1981). Granskning av Oxford Capacity Analysis. University of Lund, Sweden. Municipality of Huddinge, Case No. 150.82 000.285. Retrieved from http://thedianeticsscam.weebly.com/dianetics-part-4-common-recruiting-methods.html#pg7ref6
Wallis, R. (avec Internet Archive). (1977). The road to total freedom : A sociological analysis of scientology. New York : Columbia University Press. https://is.muni.cz/el/1421/jaro2010/RLB12/um/Wallis1.pdf
WWF Suisse. (s. d.). Calculateur d’empreinte écologique. WWF. Consulté 30 décembre 2024, à l’adresse https://www.wwf.ch/fr/vie-durable/calculateur-d-empreinte-ecologique
Ce travail a été réalisé pour le cours « Théories et mission de la communication d’intérêt général », dans le cadre du Master en création de contenus et communication d’intérêt général de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.