“Dumb Ways to Die” : L’humour noir pour toucher un grand public ?

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Photo by Ewan Streit on Unsplash

Avec des personnages marquants et une mélodie rythmée, la campagne « Dumb Ways to Die » de Metro Trains Melbourne (MTM) cherche à encourager le public à adopter des comportements plus responsables autour des trains. Nous verrons ici comment la campagne a touché plusieurs publics différents mais aussi et surtout si ce cas peut vraiment être pris en compte comme un exemple de communication d’intérêt général. 

Dumb Way to Die : Une campagne pas comme les autres 

En 2012, MTM, la compagnie ferroviaire de la région Melbournoise en Australie a décidé de créer une campagne visant à réduire les accidents liés aux trains, en déviant des pratiques habituelles en ce qui concerne les messages de sécurité. Cette campagne se présente sous la forme d’une vidéo montrant des personnages colorés adoptant des comportements dangereux (comme provoquer un ours, manger de la nourriture périmée ou encore mettre une fourchette dans un toaster) qui entraînent leur mort. Ces décès sont systématiquement qualifiés de stupides (« dumb »). Les accidents liés aux trains, comme se tenir trop près des rails, sont quant à eux qualifiés de « dumbest ways to die. » La vidéo est accompagnée d’une chanson, dont les paroles détaillent ces accidents facilement évitables. 

L’approche inhabituelle permet d’interpeler un large public, qui est habitué à des messages de prévention standards.  En effet, au lieu d’effrayer ou d’offrir un message moralisateur, les créateurs de la campagne se sont focalisés sur une approche marketing « pull », où le contenu lui-même attire et retient le public : « McCann [l’agence qui a créé la campagne] realised that it would’ve been useless to create another standard, fear-mongering rail safety advertising campaign. Forced to tear up the regular playbook, the campaign instead focused on challenging the younger demographic’s feeling of ‘invincibility’ around trains. » [1] 

Avec cette première idée en tête, McCann a ajouté les objectifs suivants pour cette campagne : 

  1. « Increase public awareness and engagement with rail safety. 
  1. Generate PR, buzz and sharing around our message about rail safety. 
  1. Invite a commitment to be safe (we a drew a line in the sand and looked to get 10,000 local pledges on our website) in a 12-month period. 
  1. See a reduction of near misses and accidents at level crossings and station platforms over 12 months by 10 per cent. »[2] 

Bien que ces objectifs soient liés à la communication d’intérêt général, nous verrons plus loin s’ils sont sont restés fidèles à l’intention de départ, qui était axée sur une politique de prévention. 

Dumb Ways to Die et la communication d’intérêt général 

Bien que le champ de la communication d’intérêt général n’ait pas de définition universelle, plusieurs objectifs de la campagne sont en accord avec cette pratique. En effet, selon Ollivier-Yaniv, la communication d’intérêt général cherche « à faire changer les mentalités et les comportements des individus en tant qu’ils sont tenus de se comporter de manière responsable à l’égard d’autrui et du collectif auquel ils appartiennent en tant que citoyen. On est clairement dans ce registre quand une institution publique communique sur les bons comportements à adopter en matière de santé et de sécurité publiques. »[3] 

Bien que MTM ne soit pas à proprement parler une institution publique, elle fournit un service public à travers son offre de transports ferroviaires. Elle travaille également étroitement avec les autorités publiques Melbournoise. De plus, la campagne tente de communiquer les bons gestes à adopter, non seulement autour des trains, mais aussi dans la vie de tous les jours. Elle cherche donc à influencer les comportements des usagers sur le long terme pour qu’ils adoptent une conduite plus responsable autour des trains, pour leur sécurité ainsi que celles des autres citoyens. 

La vidéo cherche en effet à influencer les usagers en jouant sur la pression sociale. En catégorisant de façon subjective les comportements dangereux de « dumb » et ceux en rapport avec les trains comme étant les plus « bêtes », la vidéo émet un émet un jugement sur les actes des personnes qui prennent des risques autour des trains. Cette méthode peu conventionnelle est utilisée afin d’encourager une pratique plus sécurisée dans et aux alentours des trains. Plusieurs études démontrent que “children and adults alike conform to social norms and adjust their conformity to an objective majority (Asch, 1955; Morgan & Laland, 2012; Morgan, Laland, & Harris, 2015).”[4] La majorité des personnes ne veulent pas être vues comme « bêtes » par rapport à la norme. Ce besoin de ne pas se sentir inférieur à la moyenne est majoritaire et permet donc de toucher un public large, surtout les plus jeunes, chez qui la pression sociale est la plus forte. 

Comment toucher des publics différents ? 

La campagne a effectivement cherché à atteindre un public jeune, car il est le plus susceptible de prendre des risques (« adolescents recommended risk-taking more often compared to children and young adults. »[5]) La campagne utilise ainsi des couleurs vives, de l’humour et une chanson entraînante qui reste en tête. Une étude de l’University College de Londres a en effet observé que “the pupils of healthy older people constricted less in response to colour chroma compared with young adults,”[6] ce qui explique l’utilisation de couleurs vives dans la vidéo. La campagne convoque donc un imaginaire enfantin empreint d’humour qui la rend accrocheuse.

La chanson, quant à elle, permet aussi de toucher un large public : « la musique apporte un réel avantage commercial en ajoutant de l’énergie au message et en stimulant l’auditeur (Hecker, 1984) […]. Outre cette fonction décorative, la musique est également utilisée pour sa capacité à véhiculer des significations, à participer au message, ou à augmenter sa mémorisation (Yalch, 1991). »[7] Peu importe l’âge, la musique est un moyen d’attirer un large public. La mélodie de la campagne est par ailleurs toujours très présente sur les réseaux sociaux, en particulier sur TikTok. La répétition du jugement de valeur « dumb ways to die » permet de faire passer le message facilement et durablement. Une fois confronté à une des situations listées dans la vidéo, une personne sera plus susceptible de se rappeler du message de sécurité. Tous ces facteurs sont un moyen pour la campagne de toucher des publics différents et de partager un message de prévention. 

La communication d’intérêt général victime de son succès ?

Cependant, le lien avec la communication d’intérêt général devient plus ténu si l’on regarde d’autres aspects de la campagne. Par exemple, le contenu prend souvent le pas sur le message. Ainsi, beaucoup de personnes ne sont pas au courant que cette vidéo est une campagne de prévention même s’ils connaissent la chanson ou le jeu mobile créé à partir de cette vidéo. Le fait de ne pas se concentrer uniquement sur la sécurité autour des trains dilue aussi le message : on ne comprend pas tout de suite le sujet de la vidéo, ce qui va aussi à l’encontre de la communication d’intérêt général. 

Au niveau économique, la campagne et son association à la communication d’intérêt général pose un problème. En effet, un acteur visant l’intérêt général aura généralement un « but non lucratif. »[8] La campagne a en effet commencé dans cette optique mais après son énorme succès, MTM a profité de cette réussite pour développer une franchise, avec la mise en vente d’objets promotionnels, la création d’un jeu mobile et éventuellement la vente des droits de la campagne. 

Ces enjeux éthiques remettent en question les objectifs de la campagne, qui, pour beaucoup semblent être passés de la prévention au profit. L’utilisation des personnages de la campagne dans une publicité de l’agence Empire Life Insurance Company, qui propose des assurances vie, a notamment été vue comme un « sell-out move. »[9] Passer d’un objectif visant à améliorer le bien commun à un but purement lucratif entraîne non seulement une perte de confiance de la part du public mais surtout une perte de crédibilité. La mission de la campagne n’est plus vue comme juste (prévenir les morts liées à des comportements dangereux aux alentours de trains), elle est au contraire perçue comme une entreprise strictement financière, ce qui diminue la crédibilité du message de prévention initial. 

De plus, en 2012, la cause de mort la plus répandue autour des trains était le suicide[10]  et référer à ces morts comme à de la stupidité pure peut apparaître comme insensible. En effet, référer aux morts liées aux trains sans mentionner le suicide, la cause de mort la plus majoritaire dans cet environnement, est éminemment discutable. Cela nuit forcément à l’intérêt général, puisqu’un « communicant public doit veiller au respect de certains principes comme la dignité des personnes […] Il doit aussi éviter les dérives comme l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, la manipulation. »[11] Ces éléments peuvent poser des questionnements éthiques et remettent en question le fait que la campagne fonctionne dans l’intérêt général. 

En somme, les débuts de la campagne Dumb Ways to Die s’accordent bien avec les objectifs de la communication d’intérêt général. En effet, on y retrouve par exemple une volonté de changer durablement les comportements dangereux autour des trains, afin de favoriser le bien commun. Les objectifs de la campagne se floutent néanmoins au fil du temps, pour se focaliser plutôt sur le profit, à travers des partenariats comme celui passé avec la compagnie d’assurance Empire Life, posant la question de savoir si le succès d’une telle campagne la fait changer de nature.

[1] M. Cray, « CASE STUDY: Dumb Ways To Die », Smith Brothers Media, 2022, https://smithbrothersmedia.com.au/get-smarter/case-study-dumb-ways-to-die/, consulté le 3 janvier 2025. 

[2] M. Ward, « Has Dumb Ways to Die been effective? », Mumbrella, 30 janvier 2015, https://mumbrella.com.au/dumb-ways-die-stopped-dumb-behaviour-around-trains-270751, consulté le 3 janvier 2025. 

[3] C. Ollivier-Yaniv, « Sciences de l’information et de la communication », Presses universitaires de Grenoble eBooks, 26 septembre 2014, pp. 113, https://shs.cairn.info/sciences-de-l-information-et-de-la-communication–9782706118197-page-103?lang=fr, consulté le 3 janvier 2025. 

[4] S. Ciranka et W. Bos, « Social norms in adolescent risk engagement and recommendation », British Journal of Developmental Psychology, vol. 39, n° 3, 7 février 2021, https://bpspsychub.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/bjdp.12369, consulté le 3 janvier 2025. 

[5] S. Ciranka et W. Bos, « Social norms in adolescent risk engagement and recommendation », British Journal of Developmental Psychology, vol. 39, n° 3, 7 février 2021, https://bpspsychub.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/bjdp.12369, consulté le 3 janvier 2025. 

[6] University College London, « Colours fade as people age », UCL News, 22 janvier 2024, https://www.ucl.ac.uk/news/2024/jan/colours-fade-people-age, consulté le 3 janvier 2025. 

[7] J. Galan. « Musique et réponses à la publicité : Effets des caractéristiques, de la préférence et de la congruence musicales », Gestion et management, Université de Toulouse 1 Capitole, 2003, consulté le 3 janvier 2025. 

[8] « Pour l’inclusion du plaidoyer dans la notion d’intérêt général », Communication-democratie.org, 7 avril 2023, https://www.communication-democratie.org/fr/plaidoyers/soutenir-le-developpement-des-associations-de-plaidoyer/, consulté le 6 janvier 2025. 

[9] « “Dumb Ways to Die” resurrected in Empire Life insurance campaign », adobo Magazine Online, 13 juin 2014, https://www.adobomagazine.com/global-news/dumb-ways-to-die-resurrected-in-empire-life-insurance-campaign/, consulté le 6 janvier 2025. 

[10] D. Gough, « Suicide main cause of rail deaths », The Age, novembre 2012, https://www.theage.com.au/national/victoria/suicide-main-cause-of-rail-deaths-20121101-28luk.html, consulté le 3 janvier 2025. 

[11] « Partagez votre questionnement éthique | Cap’Com », Cap’Com, 2025, https://www.cap-com.org/partagez-votre-questionnement-ethique, consulté le 2 janvier 2025.