La campagne de communication du BPA pour les conducteurs d’e-bike : une mise en situation pour changer les normes sociales

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Crédits : BPA / Ruf Lanz

Un accident de vélo électrique peut basculer votre monde. Pour en éviter les conséquences, le Bureau de prévention des accidents (BPA) a lancé en 2022, une campagne de communication afin d’adopter plusieurs comportements de sécurité au guidon. Ici, nous identifierons les intentions des auteurs et nous verrons en quoi une telle campagne s’inscrit dans la communication d’intérêt général. 

Le Bureau de Prévention des accidents 

Le Bureau de Prévention des accidents (BPA) est l’organisation faitière qui s’occupe des accidents non professionnels (circulation routière, habitat, loisirs, sport) en Suisse. Depuis 1983, cet organisme vise à réduire le nombre d’accidents graves dans le pays, notamment grâce à des campagnes de communication en français, suisse allemand et suisse italien. 

La campagne « Après un accident d’e-bike, tout est sens dessus dessous. »

En 2022, le BPA lance la campagne « Après un accident d’e-bike, tout est sens dessus dessous. ». Cette dernière cible les utilisateurs de vélo électrique. Elle a pour but d’instaurer quatre comportements à adopter au guidon : se rendre visible, être prêt à freiner, mettre un casque et être équipé d’un ABS. Pour ce faire, chaque comportement est associé à une vidéo et une affiche. Mais concentrons-nous sur les affiches, qui contiennent plusieurs éléments méritant d’être discutés. 

Tout d’abord, elles disposent des mêmes codes : le spectateur est immergé dans la peau d’une personne au sol, venant de subir un accident de vélo électrique. On le sait grâce à plusieurs indices, comme la prise de vue en contre-plongée, une partie du vélo visible dans l’angle haut droit, le ciel en second plan et surtout, l’individu (ou l’animal) par-dessus la personne au sol en premier plan. Pour chaque image, l’individu qu’on aperçoit est bouche bée. Cette expression faciale de choc laisse sous-entendre la gravité de la situation. 

Au niveau du contenu discursif, toutes les affiches contiennent le même dicton : « Après un accident d’e-bike, tout est sens dessus dessous ». Le « après » nous permet de situer l’énonciation de ce dicton à la suite d’un accident. Plus bas, il y a sur chaque affiche une phrase qui indique à l’impératif, un comportement à adopter afin d’éviter la situation illustrée. Cette phrase est placée à côté du logo du BPA, comme si l’intention était de marquer l’identité de l’énonciateur. 

L’intention de susciter des émotions

Les campagnes de prévention liées aux accidents de la circulation font souvent parler d’elles, particulièrement à cause des émotions négatives qu’elles génèrent (Daignault & Paquette, 2010). Et pour cause, plusieurs études démontrent que les émotions négatives peuvent être une méthode de persuasion efficace (Becheur & Valette-Florence, 2014; Chédotal et al., 2017; GALLOPEL, 2005; Manceau & Tissier-Desbordes, 1999). 

crédits : BPA / Ruf Lanz

Il est difficile de situer la campagne du BPA, tant elle peut sembler caricaturale que choquante. Néanmoins, elle suscite plusieurs sentiments et émotions. Par exemple, la proxémie entre l’individu au sol (le spectateur) et la personne au-dessus peut créer un sentiment d’étouffement. Ce sentiment d’étouffement est accentué par la prise de vue de face. En effet, le regard fixe des individus sur les affiches donne la désagréable impression d’être observé. De plus, le fait de voir des personnes à l’envers crée un malaise, donnant l’impression que la situation est hors de contrôle. Pour finir, le texte joue également un rôle dans les émotions que suscitent les affichent. Il peut être perçu comme une leçon ou une morale, notamment par son ton à la 3e personne de l’impératif, entre le conseil et l’accusation. Ces différents éléments permettent de constater que cette campagne de prévention a pour intention d’éveiller la conscience des « e-cyclistes » en suscitant des émotions négatives. 

Et la Communication d’intérêt général dans tout ça ?

La communication d’intérêt général (CIG) englobe la communication opérée par tous genres d’entités à but non lucratif (Gonçalves and Oliveira, 2023, 1/2). Elle est un domaine qui s’appuie sur des valeurs contribuant au bien de la société et débouchant sur une responsabilisation du public cible (World Economic Forum, 2012, reported in Servaes, 2023, 24). 

Le BPA dispose d’un statut de fondation privé. Pour comprendre son lien avec la CIG, il suffit d’observer ses objectifs : «  Le BPA met tout en œuvre pour identifier les sources de danger et pour réduire les risques d’accident en s’engageant activement dans la prévention (…). Son travail profite à toute la population suisse (enfants, adultes et seniors), à la campagne comme dans les villes. » (BPA, 2023). 

Comme l’indique cette citation issue du site web officiel du BPA, cet organisme œuvre pour plus de sécurité, grâce à la prévention. Ces objectifs s’apparentent bien à ceux de la Public Interest Communication (PIC), dont le but est de communiquer pour un changement social. Les cinq règles de la PIC sont respectées, à savoir, une communication visuelle, faisant résonnance auprès du public cible, créant de l’engagement, proposant des solutions et utilisant fortement les émotions pour provoquer un changement de comportement (Christiano, 2017). En effet, la campagne rejoint la communication d’intérêt général, car elle met en exergue des normes sociales qui vont à l’encontre de la sécurité publique et elle dicte des solutions concrètes pour les modifier. 

Les normes sociales se définissent comme des règles de conduite qui découlent des coutumes, des conventions et varient selon les cultures. Elles sont établies par une société et elles guident les comportements des individus de celle-ci. Une modification des normes implique une transformation observable dans le temps et qui impacte sur le long terme une organisation sociale (Rocher, 1972). 

De plus, cette campagne de communication permet d’observer plusieurs approches de communication rattachées à la CIG. On peut voir l’approche de la normativité, faisant référence à « ce qui devrait être » (Ramognino, 2007;Gianni, 2023). En effet, le BPA s’exprime à la 3e personne de l’impératif, ce qui peut laisser penser que les attitudes et comportements recommandés sont imposés. De plus, on peut y voir une approche pragmatique. Le pragmatisme met l’accent sur la philosophie comme façon de rendre conscients les problèmes, entre autres par les expériences vécues individuellement ou dans la société (Foucart, 2013). Cet aspect est confirmé par le BPA, qui dit appliquer une méthode de travail scientifique basée sur des faits. Avant chaque prévention, les causes et le potentiel de sécurité sont étudiés (BPA, 2023). Dans cette campagne de communication, le spectateur est immergé dans une situation d’accident de vélo. Il est mis au premier rang afin d’expérimenter cette situation. De ce fait, il est plus à même d’évaluer ses attitudes, ses comportements et de se responsabiliser. Le pragmatisme permet donc au BPA de créer des messages faisant davantage résonnance auprès des publics cible.

Finalement, au travers de cette campagne de prévention, l’intention de susciter de l’émotion afin de créer un changement social ne laisse aucun doute sur sa nature. 

Au moyen des différents éléments abordés dans cet article, il est clair que la campagne du BPA correspond à une communication dite « d’intérêt général ».  

Bibliographie

Becheur, Imène, et Pierre Valette-Florence. « L’usage des émotions négatives en communication de santé publique : Etude des effets de la peur, la culpabilité et la honte ». Recherche et Applications en Marketing 29, no 4 (2014): 96‑119. https://www.jstor.org/stable/26375489.

BPA. « Releves 2022 du BPA ». Consulté le 9 janvier 2024. https://www.bfu.ch/fr/le-bpa/medias/releves-2022-du-bpa.

Bureau de prévention des accidents BPA. « Après un accident d’e-bike, tout est sens dessus dessous. » BPA, 2022. https://www.bfu.ch/fr/le-bpa/campagnes/e-bike.

Chédotal, Camille, Bénédicte Berthe, Bénédicte de Peyrelongue, et Marine Le Gall-Ely. « L’utilisation de la culpabilité en communication ». Recherche et Applications en Marketing 32, no 4 (2017): 97‑116. https://www.jstor.org/stable/26375599.

Christiano, Ann. « Foreword: Building the Field of Public Interest Communications ». The Journal of Public Interest Communications 1 (28 avril 2017): 4. https://doi.org/10.32473/jpic.v1.i1.p4.

Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail CFST. « Bureau suisse de prévention des accidents (bpa) ». Consulté le 4 janvier 2024. https://guide.cfst.ch/survol-des-directives/organisation-de-la-surveillance/prevention-des-accidents-non-professionnels/bureau-suisse-de-prevention-des-accidents-_bpa_.

Daignault, Pénélope, et Guy Paquette. « Quelle efficacité de la menace dans les campagnes de sécurité routière ? Une évaluation tridimensionnelle ». Communiquer. Revue de communication sociale et publique, no 3‑4 (1 janvier 2010): 1‑18. https://doi.org/10.4000/communiquer.367.

Foucart, Jean. « Pragmatisme et transaction. La perspective de John Dewey ». Pensée plurielle 33‑34, no 2‑3 (2013): 73‑84. https://doi.org/10.3917/pp.033.0073.

Gallopel-Morvan, Karine. « L’utilisation de la peur dans un contexte de marketing social: état de l’art, limites et voies de recherche ». Recherche et Applications en Marketing 21, no 4 (2006): 41‑60. https://www.jstor.org/stable/40589500.

Gianni, Matteo. « Cours Prof. A. Dubied Losa Théories de l’espace public Espace public, communication et normativité », décembre 2023.

Manceau, Delphine, et Élisabeth Tissier-Desbordes. « LA PERCEPTION DES TABOUS DANS LA PUBLICITÉ : L’impact des variables socio-démographiques ». Décisions Marketing, no 16 (1999): 17‑23. https://www.jstor.org/stable/40592661.

Oliveira, Jean-Philippe De. « La communication publique comme support de légitimation et d’institutionnalisation des normes sociales : le cas de la prévention du sida ». Études de communication. langages, information, médiations, no 48 (1 juin 2017): 71‑90. https://doi.org/10.4000/edc.6791.

Ramognino, Nicole. « Normes sociales, normativités individuelle et collective, normativité de l’action ». Langage et société 119, no 1 (2007): 13‑41. https://doi.org/10.3917/ls.119.0013.

Rocher, Guy. Introduction à la sociologie générale. 3: Le changement social. Points Sciences humaines 15. Paris: Ed. HMH, 1972.

UNICEF. « DÉFINITION DES NORMES SOCIALES ET DES CONCEPTS CONNEXES », octobre 2021. https://www.unicef.org/media/114436/file/Social-norms-definitions-French.pdf.

GONÇALVES, Gisela and OLIVEIRA Evandro (dirs), The Routhledge Handbook of Nonprofit Communication, London: Routledge, 2023 

BPA. « À propos du BPA », 2023. https://www.bfu.ch/fr/le-bpa/a-propos-du-bpa.

Ce travail a été réalisé pour le cours “Théories et missions”, dans le cadre du Master en création de contenus et communication d’intérêt général de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.